Synopsis de Philosophie de Georges
ou comment s’échapper de l’enfer du plat
L’ouvrage commence par la narration de la crise métaphysique de Georges, crêpier de son état, crise inaugurant sa conversion à la philosophie. C’est la subite révélation de la platitude du monde qui saisit ce dernier, formulant ainsi, pour la première fois, ce qui allait devenir le socle primitif de son ontologie crêpière : « le monde est plat autour de l’être plat »…
Suit ensuite le récit de la rencontre circonstancielle avec l’auteur de ce livre, Alexis Legayet, et, à l’instar de Platon vis-à-vis d’un Socrate n’ayant jamais écrit, la naissance du présent projet consistant à tenter de sauver de l’oubli les paroles d’or d’un philosophe que, d’évidence, personne ne connaît…
Le premier chapitre, intitulé Ontologie première, ontologie primaire, vise à rendre compte de cette ontologie georgéenne de la platitude universelle. Après avoir dévoilé ce que, rétrospectivement, il vécut être les illusions de la rondeur, l’auteur narre ensuite deux voyages inaugurés par Georges dans l’en-deçà des mondes. Une nouvelle, La grande vie de Le Clézio puis l’analyse d’une séquence du Seigneur des anneaux de Peter Jackson servent ainsi successivement de tremplin à des méditations lévinasso-heideggeriennes mettant à jour le « Grand Dehors » que la vie ordinaire, par structure, méconnaîtrait. Alors que le lecteur, que l’on devine subjugué par la profondeur de ces analyses, croit vraisemblablement avoir voyagé en terre de Vérité, en arguant subitement du fait philosophique de la multiplicité contradictoire de ces dernières, Georges ramène immédiatement, et assez cruellement, la profondeur épousée au statut d’un jeu quasi-cinématographique de la pensée. C’est, notamment, qu’une telle profondeur éprouvée à coup d’angoisse, de cauchemar ou de néant semble bien ici, et assez étrangement, tenir lieu d’un très jouissif remède à ce que, dans l’étouffement, il éprouva, par ailleurs, être l’universelle platitude. Si ce dernier sentiment ne saurait, par structure et, en tout cas, par prudence, lui non plus, échapper ni à la singularité de son ancrage subjectif ni, par conséquent, thématisé, au statut d’un jeu de la pensée, c’est cependant, souligne Georges, de ce jeu-là qu’il lui fallut, quant à lui, partir. Nul ne peut philosophiquement construire sa propre voie à partir des évidences d’un autre. Aussi bien, repartant du constat éprouvé de la platitude universelle, formula-t-il la logique éthico-ontologique de sa libération dans la construction de dimensions de hauteur susceptibles de nous libérer de l’étouffant écrabouillement.
Le seconde chapitre, intitulé L’albatros de l’Etre, constitue une description et une analyse de cette dimension supérieure de Vérité éprouvée par Georges comme une première libération. La nature d’une telle jouissance consistant à s’éprouver Voletant et Voyant serait ainsi non seulement celle, négative, de la délivrance mais aussi celle, positive, consistant à expérimenter en soi une puissance justement nommée « divine » par la tradition philosophique. C’est que l’idée de vérité, montre ici Georges, suppose, en effet, structurellement et paradoxalement de poser l’éternité de l’œil de Dieu, supposé, notamment, voir et conserver la mémoire éternelle de tout ce qui a été. Si, comme Georges, nous refusons une telle position, reste donc à penser l’expérience de la vérité comme une forme singulière de cinéma-pensée. De la même façon que celui qui contemple Clint Eastwood à l’écran mime intérieurement et devient ainsi quelque peu ce héros ténébreux, celui qui, tel Spinoza ou Tryphon Tournesol, voyage avec des pensées à prétention éternelle croit acquérir en et pour lui-même la structure intime de cette éternité. Il y aurait, à ce titre, trois manières de se laisser prendre au grand cinéma de la pensée consistant à se vivre dans la coïncidence avec l’œil de Dieu. Qu’il éprouve dans la jouissance le caractère éternel de toute vérité, joue à coïncider avec la scène éternelle de la réalité mouvante ou bien, tels les savants d’Hergé, à épouser la puissance créatrice de la divinité, il ne s’agirait jamais, selon Georges, que d’un jeu qu’il faudrait certes, pour s’élever, intensément éprouver mais, par lucidité, à tout prix refuser de réifier en vérité.
C’est une seconde dimension plus proche de la Terre ferme que le troisième chapitre, intitulé Rendre léger ce qui écrase, 1 – le rire, entend explorer. L’auteur commence ainsi par rappeler un souvenir de sa propre enfance, le coup de la baguette, préfigurant l’action terrumoriste inaugurée par Georges. Ce dernier type d'opération consiste essentiellement à déstabiliser par le rire quelques structures bien ancrées dans le très grand sérieux de la scène du monde. Si ce sont bien, en effet, ces dernières qui nous étouffent et aplatissent, l’éclat du comique a précisément ici pour vertu de nous en libérer par une bouffée d’air jubilatoire. Entre autres actions juste évoquées, l’auteur analyse alors longuement la dynamique des célèbres horloges à slip qui déferlèrent sur la planète, mettant en cause l’ordre sordide et plat du temps commun. L’art terrumoriste, lequel, note l’auteur, atteint toutes les structures, y compris discursives, tendant à se figer, se réifier et ainsi à « s’y croire », n’est cependant nullement un fait de haine aveugle. Ce véritable « art martial » suppose, tout au contraire, une compréhension fine voire un accouplement, parfois même amoureux, à ce qui prétend quitter son statut de jeu pour s’ancrer indûment sur la terre ferme du Réel ou de la Vérité. L’art terrumoriste ne saurait, toutefois, affirme enfin l’auteur, constituer une fin dernière de la pensée et de l’action. S’il est, certes, un moment nécessaire de la grande respiration, c’est la danse qu’il contribue à dessiner qui, elle, vaut fin en soi.
Le quatrième chapitre, intitulé Rendre léger ce qui écrase, 2 – la danse, entend ainsi montrer la portée éthique de l’idée nietzschéenne de la danse-fin en soi. Face aux objections du narrateur-auteur arguant du dérisoire de l’esprit de la danse face à la platitude désespérante de la réalité, Georges se décide d’abord à suivre cette triste ligne afin de tracer, à partir de cette dernière, la voie de sa jubilation. C’est d’abord Céline, digne héritier des « joyeux drilles » de la pensée, puis deux films critiques de l’esprit primesautier des anciennes comédies musicales que Georges s’attelle à étudier dans leur volonté de nous désabuser. Sur ce thème désespéré, le philosophe nous donne alors à parcourir un ancien texte de sa composition, Autopsie d’une poupée où il lui arriva de lire le destin tragique des enfants que nous sommes dans une poupée démembrée, rencontrée sur E-Bay. La profondeur qu’on y éprouve, commente ici Georges suit la voie, somme toute assez complaisante, d’un laisser-aller à la facilité, entendons à cet esprit de lourdeur qui escorte nos chûtes. La leçon de Nietzsche n’aurait donc pas été entendue : l’esprit de la danse n’est pas celui d’un aveuglement et d’une évasion vaine au sein d’un monde fleuri car c’est au-dessus de l’abîme, et contre la loi du monde, qu’il nous faut faire danser la vie ! Une telle idée, montre enfin Georges en s’opposant, ici, aux critiques trop faciles de la comédie musicale de la grande époque, n’est cependant pas étrangère à ces dernières, lesquelles, par là, apparaissent parfois bien moins naïves qu’on ne le croit. La loi, de toute façon, conclut-il, est toujours identique : celui qui refuse de faire le premier pas ne verra jamais autour de soi que l’absence de la danse là où, pourtant et vraisemblablement, il n’aurait suffit que de se lancer.
Le cinquième chapitre, intitulé De la danse du réel, entend approfondir et déployer l’esprit de la danse en le projetant au sein de l’Etre-même. Si la vérité est une fiction, note une nouvelle fois Georges en une longue digression, une telle position échappe cependant à l’arbitraire en s’accrochant aux règles fragiles d’une intersubjectivité éclairée que l’histoire de la pensée aurait patiemment forgées. Aussi bien l’argumentaire présent ne peut-il faire autrement que de s’atteler à apparaître sous la figure du vraisemblable. Il s’agirait, note alors Georges, de ne pas confondre les conditions nécessairement subjectives et singulières de l’esprit de la danse avec le champ entier, par essence séparé de nous, où régnerait ce dernier. Si nous appréhendons ainsi immédiatement notre seul corps propre sous la double dimension intérieur/extérieur, le sens commun nous invite cependant à creuser certaines formes perçues d’une identique et, par essence imperceptible, dimension intérieure. Le sens commun se tromperait-il ? C’est une telle hypothèse que, suivant étrangement, la ligne réductionniste que nous savons être de la science, le Roquentin de La nausée entreprend, quoi qu’il en dise, de suivre et ici, notamment, face à une pauvre racine de marronnier. Suivant Jean Epstein, Georges montre alors qu’une telle réduction du réel à une extériorité sans dimension intime a pour condition, et au sein de la nausée même, un subit ralentissement de la vie du sujet percevant, que le jeu d’une caméra peut assez facilement imiter et épouser. A contrario, montre-t-il, l’accélération des images redonne vie à toutes choses. Quel est donc, demande alors notre philosophe, le juste réglage temporel ? La logique de notre intelligence voudrait que le ralentissement absolu, soit la décomposition en purs instantanés, permette de tout voir et saisir. A ce titre, note Georges à la suite de Bergson, ce sont cependant des franges entières de la réalité qui disparaîtraient de notre perception. Si le réel est ainsi hypothétiquement constitué de couches de durées hétérogènes ce sont sur ces dernières qu’il faut tenter de nous régler.
Pourquoi faudrait-il cependant penser de telles durées sous la catégorie de la danse ? Afin d’introduire à la logique intime d’une telle idée, notre philosophe propose alors une première excursion au sein de notre vénérable passé. Lorsque l’un de nos ancêtres quadrumane inventa la bipédie, ce fut une danse inédite, insolite et compliquée, comme est danse pour nous ce qui dépasse notre marche ordinaire, qu’il proposa en exemple. Aussi bien la quadrupédie, était-elle, déjà elle-même, une forme singulière de danse par rapport à l’ordinaire reptation. De façon générale tout mouvement vivant pourrait bien être pensé sous la catégorie de la danse dans la mesure, où la tension désirante qui le sous-tend tisse, notamment, le mouvement pathétique d’insolites rencontres que l’on pourrait hypothétiquement rêver comme le moteur secret de toute évolution. Ces jalons posés permettent de proposer quelque chose comme un modèle dialectique de l’évolution où se coordonneraient, en étages successifs, les rires et les danses. Pour expliciter une telle idée, Georges entreprend alors d’étudier l’invention d’une chorégraphie amoureuse, initiatrice de notre humanité, au sein du film La guerre du feu de Jean-Jacques Annaud. Toutes les catégories que le philosophe Alain Badiou déploie pour penser la danse dans son Petit manuel d’inesthétique, montre alors Georges, fonctionnent à merveille. Toutefois, faisant de la danse l’impossible exception, Badiou-Mallarmé aurait méconnu le caractère historique d’une réalité où, successivement, ce qui était danse devient banalité, à nouveau contestée par ce qui maintenant revendique seul le statut de dansé. Aussi bien l’univers serait-il en tension vers quelque sublime chorégraphie, qu’il nous est aujourd’hui, et structurellement, tout à fait impossible d’imaginer. Cette tension toutefois, souligne enfin Georges, n’est nullement une fatalité. La chute mortelle qui l’emporta après une malheureuse glissade sur une tranche de jambon, et que l’auteur raconte dans sa conclusion, n’en est-t-elle pas, d’ailleurs, une excellente illustration ?
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Babar (mercredi, 06 août 2014 23:15)
Longue vie à Georges !
lamouettedeminerve (mercredi, 06 août 2014 23:16)
Mais il est mort...
Babar (mercredi, 06 août 2014 23:17)
Longue mort à Georges !
lamouettedeminerve (mercredi, 06 août 2014 23:18)
Merci !